ARTPRESS N°476 – AVRIL 2020

FR

sanguines à rebours / Backward sanguines

par Philippe Ducat

Familiarité, décalage, mélancolie ?
on hésite. Les sanguines de Cyril Duret ne se laissent en effet pas appréhender aisément. Elles sont présentées sur le stand de la galerie Alain Gutharc (Paris).

Cyril Duret fait partie de cette catégorie d’artistes qu’on ne sait pas très bien où situer, à quel courant de pensée artistique l’associer. En général, c’est plutôt le signe d’une certaine liberté d’arbitraire. Ses peintures sont curieusement composées, avec un je-ne-sais-quoi de mélancolique et de proustien – c’est-à-dire d’ironie mélangée à de la fascination vis-à-vis de ses modèles teintés d’un décadentisme magnifique. Les sanguines de Cyril Duret sont sur cette ligne, amplifiée par les caractéristiques mêmes de ce médium dont l’apogée date du 18e siècle. La sanguine a assez peu été utilisée au cours des siècles suivants. Le choix même de cette technique est pour le moins intrigant. À première vue, on a l’étrange impression d’être devant des représentations d’un passé plus ou moins lointain, comme devant certaines photographies du 19e siècle. On ressent la sensation identique de familiarité et de décalage. La sanguine imprime aux œuvres la même nostalgie qui se dégage des compositions d’Ennio Morricone.
Les dessins sont souvent luxuriants et très chargés, exécutés dans un style graphique post-impressionniste. Il n’y a aucune précision dans le tracé, tout est suggéré par association, entre absence et présence de trait. C’est grâce à cette caractéristique graphique qu’on éprouve une sensation de volume surprenante, sensation qu’on ne perçoit pas immédiatement – d’où l’étrangeté. À ces bizarreries techniques s’ajoute le choix des sujets. Celui des portraits fictifs (la série Edmonde Charles-Roux dans laquelle on discerne fort bien le mélange fascination/ironie) ou bien des portraits actuels de personnalités que Duret doit certainement fréquenter – supposition car aucune preuve à soumettre – dans le milieu culturel de notre temps en marge des coteries habituelles (ou bien alors ultra-branchées) : Patrick Mauriès, Sapho, Cécile Ritzenthaler, Diane Pernet par exemple. Et la sanguine leur communique son fameux effet « hors du temps ». Cyril Duret met également en scène des paysages qu’il faudrait plutôt nommer « ambiances » car tout n’est que pré- texte : des nus dans la plus pure atmosphère Déjeuner sur l’herbe (en plus déshabillé) par exemple ou bien des intérieurs qui semblent indiquer que personne n’y est entré depuis trente ou quarante ans. La sanguine Brignon (Rosette, Mona et Raphaël), quant à elle, laisse penser que le personnage féminin à la fenêtre pourrait bien réitérer le saut dans le vide de Klein au milieu d’une végétation inquiétante. Il faut signaler la mystérieuse série D’après Julien Carreyn.
Carreyn est un artiste multimédia exposé récemment à la galerie parisienne Crèvecœur. En effet, Cyril Duret réalise des sanguines d’après les images photographiques souvent dénudées de ce fameux Julien Carreyn – avec son accord, précisons-le.
Il faut bien en convenir, les œuvres de Cyril Duret sont difficiles à cerner esthétiquement et temporellement. D’un autre côté, n’est-ce pas une des caractéristiques d’un art digne d’attention que de ne pas être commode ?

EN

Familiarity, incongruity, melancholy?
It is hard to tell. Cyril Duret’s sanguines are not easy to grasp.They are being shown on the stand of Alain Gutharc gallery (Paris).

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Cyril Duret is one of those artists who are dif- ficult to label or to associate with any given artistic school of thought. In general, this is the sign of freedom of arbitrariness. His paintings are curiously composed, a touch melancholic and Proustian that is to say irony mixed with fascination towards his models, tinged with magnificent Decadentism. Cyril Duret’s sanguines are along the same line, amplified by the characteristics of this medium whose apex dates back to the 18th century. Sanguine has not been used much in the following centuries. Choosing this technique is intriguing, to say the least. At first glance, one gets the odd feeling of standing in front of representations of a more or less distant past, like certain 19th-century photographs. The feeling of familiarity and incongruity is the same. Sanguine gives oeuvres the same nostalgia that emanates from Ennio Morricone’s compositions.
The drawings are often luxuriant and very busy, done in a post-impressionist graphic style. There is no precision in the lines, eve- rything is suggested by association, in between the absence and presence of a stroke. It is because of this graphic characteristic that one gets a surprising feeling of volume, a feeling that is not perceived immediately hence the oddness. To these technical peculiarities should be added the choice of subjects. That of fictional portraits (the Edmonde Charles-Roux series in which can be discerned a mixture of fascination and irony) or of personalities probably well-known to the artist – for want of proof, this remains a supposition – in the contemporary cultural milieu on the fringes of the usual cliques (or perhaps extremely trendy): Patrick Mauriès, Sapho, Cécile Ritzenthaler, Diane Pernet. And sanguine gives them that feeling of “time- lessness”. Cyril Duret also puts together land- scapes that should be called “ambiance”, for they are actually just an excuse: nudes along the lines of the Luncheon on the Grass (with more nudity) for example, or interiors that seem to suggest that no one has been inside for thirty or forty years. As for Brignon (Ro- sette, Mona et Raphaël), the sanguine leads one to believe that the female character at the window could very well reiterate Klein’s leap into the void amid disturbing vegeta- tion. The mysterious series titled D’après Julien Carreyn must also be pointed out. Carreyn is a multimedia artist recently exhi- bited at galerie Crèvecœur in Paris. Indeed, these sanguines are based on mostly-nude photographic images of Julien Carreyn – with his consent, of course.
Admittedly, Cyril Duret’s work is difficult to grasp, both from an aesthetic and temporal points of view. On the other hand, isn’t abstruseness one of the features of an art that is worthy of attention?

Translation: Jessica Shapiro